Aller au contenu

Lysistrata Média

Le drag influence la pop, la pop influence le drag

De RuPaul à Lady Gaga, l’art du drag et la musique pop entretiennent un lien créatif réciproque depuis plusieurs décennies déjà. Les codes du drag, longtemps catégorisés comme underground, se sont peu à peu révélés au grand public à travers l’influence de queens propulsée sur le devant de la scène. Ils sont maintenant repris par les plus grandes pop stars pour exprimer leur art.

Vous avez peut-être vu passer des extraits de la dernière performance de Sabrina Carpenter sur son nouveau single « Tears » aux VMAs, entourée de drag queens de RuPaul’s Drag Race et de figures de la scène ballroom, brandissant des pancartes de soutien aux droits trans. Dans un contexte américain où les performances drag font l’objet d’attaques politiques et de tentatives de législations restrictives, cette visibilité – offerte pendant la performance d’une des artistes les plus en vue au pays – n’est pas négligeable. Au-delà même du geste militant, la collaboration de l’icône pop avec ces artistes drag illustre également une réalité artistique : le drag influence la pop, et la pop influence le drag. Ce cercle créatif nourrit la musique depuis des décennies, et crée un échange des codes, qui se réinventent et se nourrissent mutuellement. 

Celles qui font découvrir le drag au grand public

S’il y a bien une icône qui représente le pont entre l’art drag et le grand public, il s’agit de Ru Paul. En 1993, son titre « Supermodel (You Better Work) » propulse l’esthétique drag hors de l’underground et ouvre la voie à une reconnaissance auprès du grand public. Cette influence ne cessera de grandir avec le succès international de RuPaul’s Drag Race, une téléréalité concours où plusieurs drag queens rivalisent pour devenir la nouvelle « Superstar du drag”, qui finira par être diffusée par Netflix. L’émission transforme la perception du drag et permet de le faire passer d’art de niche à véritable phénomène culturel.

Cette visibilité croissante prend aussi ses origines dans le travail de queens pionnières comme Divine, icône du cinéma trash et underground qui, dès les années 70, révolutionne la performance de genre avec son maquillage outrageux et son attitude sans limites. Elle est considérée comme la muse du réalisateur John Walters et apparaît à plusieurs reprises dans ses œuvres, dont la version originale du film à succès Hairspray.

Les artistes au centre du relai d’inspiration

Dès les années 1970 et 1980, certain·es artistes remettent en question les codes de genre traditionnels dans leurs performances musicales. L’un des exemples les plus emblématiques est sûrement Ziggy Stardust, l’alter-ego androgyne du chanteur David Bowie. Des artistes vont plus loin, comme Annie Lennox, chanteuse du groupe Eurythmics, qui emprunte directement aux techniques drag. Elle va jusqu’à incarner son personnage masculin « Earl » en male drag pour performer Sweet Dreams à la cérémonie des Grammy Awards en 1984. Suite à cette représentation, elle explique en interview : « il y a ces discussions à mon sujet disant que je suis une travestie, alors j’ai donné aux gens ce qu’ils voulaient ». Annie Lennox inspire également les drags queens dans leur art, qui empruntent ses titres et ceux de Eurythmics pour leurs performances lipsync (play-back) ou incarnent entièrement son personnage sur scène.

Plus tard, une artiste américaine fait sa place sur la scène pop en créant son propre personnage : Lady Gaga. Bien qu’elle explique ne pas se définir comme une drag queen – reconnaissant le drag comme « une forme d’art à part entière » – ses performances incluent clairement des éléments empruntés au drag. Elle est aussi devenue un véritable icône, à travers son soutien envers la communauté LGBTQIA+ – notamment avec le single « Born This Way » – et l’art drag – elle fut jurée invitée de la téléréalité-concours Ru Paul’s Drag Race en 2017.

Cette filiation drag-pop trouve aussi ses racines dans la culture ballroom. Née dans les années 1970 à New York, cette scène LGBTQ+ africaine-américaine et latino est à l’origine du voguing et d’un argot qui s’intègre aujourd’hui dans la pop culture. De Madonna avec « Vogue » à Beyoncé avec « Renaissance », les artistes puisent dans cette source autant esthétique que musicale pour en faire des hits.

Aujourd’hui, Chappell Roan – qui a fait sa grande entrée sur la scène pop grand public – assume totalement l’influence du drag. Dès l’explosion des singles « Pink Pony Club » et « Good Luck Babe! », l’artiste queer intègre des drag queens dans ses clips vidéo tout en développant son propre persona drag. Chappell Roan est maintenant bien connue pour son esthétique camp (hors-norme, exagéré, théâtral) et ses incroyables looks, sur scène comme sur les tapis rouges (on vous recommande de regarder une compilation de ces derniers, ils valent le détour !).