“Alors, c’est pour quand ?” Une question qui revient régulièrement dans les repas de famille. La baisse de la natalité inquiète jusqu’aux hautes sphères du pouvoir. Dans ce tourment démographique, les femmes sont pointées du doigt. Trop carriéristes, trop égoïstes, trop tardives. La pression s’accentue, jusqu’à ériger la procréation en devoir citoyen.
Le sujet revient encore et encore. Depuis janvier et la volonté du président de la République de faire un “réarmement démographique”, la baisse de la natalité inquiète l’écosystème médiatique. Articles économiques, débats en plateau : la société nous somme de faire des enfants. Derrière les querelles des éditorialistes, les faits sont là. Le nombre de naissances a atteint son plus bas niveau depuis la Seconde Guerre mondiale. Excepté le rebond post Covid-19, le nombre de naissances diminue de manière continue depuis 2011.
En 2024, 663 000 enfants sont nés en France, soit 21,5 % de moins que lors du dernier point haut de 2010. Une baisse de la natalité qui s’inscrit dans une tendance globale partagée par l’ensemble des pays développés. Conséquence : la population française n’augmente presque plus. Alors qu’en 2019 le solde naturel s’établissait à 140 000, il n’est plus que de 17 000 aujourd’hui.
Minimum deux enfants par famille : un cadre dépassé
L’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) qui mesure le nombre d’enfants qu’aurait une femme tout au long de sa vie, illustre ce constat. Même si la France reste l’un des pays les plus féconds d’Europe, l’ICF est en baisse depuis le Covid 19, et ce, quelle que soit la classe d’âge. Alors qu’une femme donnait naissance à 2.02 enfants en 2010, ce chiffre s’établit à 1.62 en 2024. Comme l’explique un rapport de l’Institut national d’études démographiques (INED) paru dans l’été, si avoir deux enfants semblait être le minimum en 2005, il est aujourd’hui perçu comme le maximum. En rentrant dans le détail, on observe que les Français font des enfants de plus en plus tard. Le taux de fécondité des femmes de 15 et 24 ans a chuté depuis 2004 (-42 %), comme celui des femmes de 25 à 29 ans (-31 %). À l’inverse, ce taux a augmenté de 24 % pour celles âgées de 35 à 39 ans et a quasiment doublé pour les quadragénaires.
Ce recul de l’âge de la procréation rend plus difficile la procréation, augmentant l’infertilité et les risques de fausses-couches. En ajoutant à cela le nombre croissant de Français ne souhaitant pas avoir d’enfants — 6 % en 2005 contre 12,2 % en 2024 selon l’INED — nous tenons les raisons statistiques de la baisse de la natalité en France.
Travail ou Famille, il faut choisir
Mais quelles sont les autres raisons évoquées ? Dans les médias, les arguments fusent pour trouver les coupables. En première ligne tombent évidemment celles qui donnent la vie : les femmes. Elles privilégieraient à présent leur carrière, au détriment de leur famille. Elles sont plus nombreuses à travailler qu’avant, c’est vrai. En 2020, le taux d’activité des femmes âgées de 15 à 64 ans s’élevait à presque 70 %. C’était tout juste 50 % un demi-siècle plus tôt. Avoir des enfants serait un risque pour leur carrière, ce qui les pousseraient à mettre leur famille de côté. Effectivement, prendre un congé maternité est encore source de discrimination au travail. Le manque de place dans les crèches oblige certains parents, encore souvent la mère, à se mettre à temps partiel pour garder un enfant. Un ensemble de choses qui réduisent la productivité d’une salariée et la pénalisent en entreprise.
Au lieu de mettre la faute sur la femme, repartons du constat initial. Comment un enfant peut-il encore mettre en danger une carrière ? L’article 225-1 du Code Civil interdit, entre autres, au recruteur de poser des questions relevant du sexe, de la situation familiale ou encore de la grossesse aux candidats. Pourtant, certaines femmes se voient encore demander si elles prévoient d’avoir des enfants.
Faire moins d’enfants, une volonté aussi partagée par les hommes
En 20 ans, le nombre d’enfants souhaités chez les hommes de moins de 30 ans est passé de 2.3 à 1.8. Chez les femmes, il est passé de 2.5 à 1.9. La baisse est sensiblement plus faible. Pourtant, elles restent désignées comme le problème, et la solution.
Mais pourquoi serait-on obligé de procréer ? Et ce, pour aider le pays? Que la France offre alors un cadre de vie sécurisant, une confiance en l’avenir, avant de lancer une grande politique nataliste. Car ces raisons sont les principales qui poussent les Françaises et les Français à ne pas avoir d’enfant ou à repousser son arrivée. L’un ne peut se faire sans l’autre. Selon une étude de l’assureur belge AG, une famille débourse environ 264 000 euros pour subvenir au besoin d’un enfant jusqu’à ses 25 ans. Une mission périlleuse quand dans le même temps le taux de pauvreté atteint un niveau record depuis 1996, date du début des mesures de l’Insee.
Mais par-dessus tout : mon corps, mon choix. Une ingérence étatique dans un domaine si intime n’a absolument pas sa place. Faire moins d’enfants et plus tard, c’est aussi en faire mieux. Cela leur permet d’évoluer dans une situation plus stable, et d’avoir la possibilité de consacrer plus de moyens à leur éducation.
Cette pression à procréer s’incarne jusque dans le vocabulaire médical lui-même. Le terme « nullipare », issu du latin nullus (« aucun ») et parere (« enfanter »), désigne une femme qui n’a jamais accouché. Sa consonance négative frappante. Le préfixe « null- » évoque le vide, l’absence, le manque. Ce mot transforme un simple état de fait en une caractéristique définitoire, voire en un défaut. Il s’inscrit dans l’ensemble des discours qui stigmatise le choix de ne pas avoir d’enfant, et alimente la pression. Y compris au cœur de la famille. « Alors, c’est pour quand ? » Cette question, qu’on a toutes et tous entendu, nous rappelle qu’il faudrait se conformer à un schéma préétabli : un couple, ça fait des enfants. Deux, idéalement.
Pourtant, derrière chaque choix reproductif se cachent des contraintes économiques, des aspirations personnelles et une liberté fondamentale qui devrait échapper à tout jugement collectif. À travers ces débats sur la natalité, la femme semble être pointée du doigt, et réduite à son statut reproductif. Si sa mission biologique n’est pas réussie, elle manque à son devoir. La réduire à cela, c’est nier son existence en tant qu’individu autonome et perpétuer l’idée que sa valeur sociale ne dépend que d’une chose : sa capacité d’enfanter.