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Lysistrata Média

L’écriture secrète des femmes enseignée dans les écoles chinoises

Le nüshu, l’écriture secrète des Chinoises, a bien failli disparaître. Depuis quelques années, le gouvernement l’a inscrit dans les programmes et les gardiennes de la langue l’apprennent aux jeunes filles dans les écoles. Une façon de perpétuer une culture et un symbole de la force féminine. 

Un secret bien gardé. Pendant plus de 400 ans, des centaines de Chinoises ont communiqué entre elles, grâce à une écriture secrète : le nüshu. Cette « écriture des femmes », dans sa traduction littéraire, issue d’un dialecte local, était uniquement écrite et lue par les femmes. Grâce à cette langue, elles pouvaient discrètement se faire passer des messages. Elles écrivaient sur des petits objets faciles à transporter et à cacher dans des manches tel que des éventails.

Le nüshu a été inventé il y a 400 ans dans le comté rural de Jiangyong, dans le sud-est de la Chine. Le premier témoignage de l’existence de cette écriture est une pièce de monnaie en bronze, découverte à Nankin. Cette ville était la capitale du Royaume céleste de la Grande Paix, un royaume qui avait voulu renverser la dynastie Quig entre 1851 et 1864. Le programme politique du royaume rebelle comprenait des réformes sociales et dans une certaine mesure ce que l’on pourrait aujourd’hui qualifier d’égalité des sexes. La pièce porte une inscription de huit caractères nüshu signifiant : « Toutes les femmes sous le ciel appartiennent à la même famille ».

L’écriture est bien différente du mandarin. Elle est formée de losanges grâce à quatre éléments de base : les points, les traits verticaux, inclinés et arqués. Selon Zhao Liming, professeure à l’Université Tsinghua de Beijing, le nüshu n’est pas seulement une écriture. Il s’agit d’une culture féminine traditionnelle typiquement chinoise. Une façon de rendre la vie des femmes un peu plus agréable, aux travers de chants et de poèmes. « Le nüshu permettait aux femmes de s’exprimer de leur propre voix et de lutter contre la domination masculine », explique l’universitaire auprès de l’Unesco (dans un article de 2018).

S’échapper du foyer

Dans la Chine de l’époque, les femmes n’apprenaient ni à lire ni à écrire. Une fois mariées, elles n’avaient pas le droit de sortir seules, devaient obéissance à leur mari et quittaient très peu leur foyer. Elles développent alors leur propre langage leur permettant de communiquer sans être comprises par les hommes.

Il reste aujourd’hui peu d’écrits de ces femmes. Presque tous les petits mots ont été brûlés ou enterrés avec leurs autrices, car jugés trop personnels. Les Chinoises racontaient leurs souffrances et leurs vécus dans des textes ou se soutenaient entre elles. Le plus souvent, les femmes utilisaient cette écriture syllabique pour rédiger leur autobiographie. « Chaque femme du Jiangyong écrivait son histoire de ses propres mains, souligne Zhao Liming. Celles qui ne savaient pas écrire s’en remettaient aux autres. Après leur mort, leurs filles écrivaient les biographies de leurs mères. »

La langue a failli disparaître il y a une dizaine d’années, avec le décès de plusieurs de ses utilisatrices. Mais dans sa région d’origine, des femmes recommencent à le transmettre à la jeune génération. Douze « héritières » du nüshu ont été reconnues par le gouvernement et ont désormais le droit de l’enseigner dans les écoles. La langue connaît même un regain de popularité dans tout le pays. Sur Xiaohongshu, une application chinoise similaire à Instagram, le #nushu atteint les 72 millions de vues, avec de nombreuses publications de jeunes femmes partageant des photos de tatouages ou d’autres créations intégrant cette écriture. Le nüshu est considéré comme un symbole de la force féminine et une façon de ne pas oublier les femmes.