Dans le domaine de l’horreur, Hollywood a créé un sous-genre à part entière : la hagsploitation. Les mémés psychotiques, femmes âgées sombrant dans la folie, traduisent l’âgisme et la misogynie de l’industrie cinématographique.
Imaginez un sorcier. Vous aurez sûrement l’image d’un cinquantenaire arborant une barbe blanche et un chapeau pointu. Imaginez à présent une sorcière. Pourquoi est-elle sensiblement plus vieille ? Et avec, pour certaines, un long nez et des boutons sur le visage, comme dans Blanche Neige et les Sept Nains. Cette différence d’appréhension est influencée par les codes sociaux, mais aussi par la culture.
Les mémés de l’horreur
Ce personnage féminin, âgé, sénile sombrant dans la folie possède un nom théorisé en 2012 par l’écrivaine et journaliste Alison Nastasi : la “psycho-biddy”. Ce sont ces mémés psychotiques dont la présence dans les films d’horreur relève tellement du cliché, qu’un sous-genre a été créé, baptisé la “hagsploitation”. La contraction de hag, signifiant “harpie” ou “vieille peau”, et exploitation. Pascal Françaix, auteur et spécialiste du camp, une culture de l’outrance et de l’humour liée à la communauté LGBTQ+, préfère parler de “mélodrames gériatriques”.
Le film “Qu’est-il arrivé à Baby Jane?” sorti en 1962, marque le début de la hagsploitation. Ce film d’horreur met en scène deux sœurs vieillissantes dont la relation vire à la haine. Baby Jane est une ancienne enfant-star, jalousant le succès de sa sœur Blanche, jetant l’ombre et l’anonymat sur elle. Subitement, cette dernière perd l’usage de ses jambes, offrant à Jane une domination physique, qu’elle exploite de bon cœur à travers des brimades et séquestrations toujours plus difficiles à regarder. Au-delà de la violence, le film tire également la peur de la vieillesse des personnages — à 54 et 56 ans lors du tournage, les actrices étaient considérées comme âgées — à laquelle il faut ajouter les maquillages caricaturaux et burlesques. Il marquera les esprits, sera un carton et recevra même cinq nominations aux Oscars.
Dans les années 1980, ce genre incontournable disparaît des salles obscures. Les femmes âgées sont moins présentes dans les films d’horreur, comme dans le thriller psychologique “The Others” d’Alejandro Amenábar sorti en 2001 où les héroïnes féminines figurent dans la trentaine et la quarantaine. Mais si l’âge d’or de la hagsploitation est révolu, les screamers de vos films à frisson restent, dans l’esprit général, des femmes âgées. La caricature de la sorcière terrifiante est toujours là.
Le corps vieillit de la femme suscite le dégoût. Ces femmes ne sont plus fertiles, et sont perçues comme périssables, et donc indésirables. Dans une industrie cinématographique où les femmes sont perpétuellement réduites à l’état d’objets de désir, l’exposition de la nudité féminine sénescente choque. Ces corps représentent un tabou et sont utilisés comme un moyen de créer l’horreur. C’est particulièrement visible dans The Shining. Jack Torrance, personnage principal, est stupéfait et animé de désir en apercevant le fantôme nu d’une jeune femme. Avant qu’il ne s’aperçoive dans le miroir, terrifié, que ce dernier déjà en décomposition, bien plus vieux qu’il en a l’air.
Outre l’aspect esthétique, les femmes plus âgées sont perçues comme possèdant également plus d’expérience et deviennant, par nature, moins obéissantes. Aux antipodes de l’idéal féminin construit par notre société : celui de la femme juvénile et naïve. Elles deviennent alors aigries et méchantes. Leur rôle est tout trouvé.
Actrice âgée, femme rejetée
C’est pourquoi, un grand nombre d’actrices n’ont eu d’autres choix que de se lancer à de nombreuses reprises dans le rôle de la gorgone. La femme repoussante par sa laideur et sa noirceur. À commencer par Bette Davis, interprétant Baby Jane dans “Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?”, qui a enchaîné ces rôles de matriarche folle dans “The Anniversary” ou “Chut… chut, chère Charlotte”. Passé 50 ans, même pour les grandes actrices d’Hollywood, trouver un rôle devient complexe. D’après une étude de 2018 de l’Association des Actrices et Acteurs de France, les femmes de plus de 50 ans représentent un quart de la population française. Pourtant, dans les films sortis en 2016, on ne leur a attribué que 6 % des rôles. Pour une actrice féminine, l’apogée de sa carrière se situe avant la trentaine.
Une carrière aux choix limités
Si les actrices âgées refusent de jouer la gorgone, alors s’offrent à elle deux autres grands rôles dans lesquels elles sont souvent vues : la grand-mère et la cougar. Dans le premier, elles incarnent une figure joviale, aimante, s’occupant des petits enfants. Le personnage est souvent dépossédé de son identité de femme, pour être simplement vu comme une mère avec ses obligations. Elle est souvent représentée totalement désexualisée. L’image parfaite de la mamie gâteau.
À l’inverse, la cougar est une représentation hypersexualisée, souvent vu pour les hommes qui couchent avec elles comme une “case à cocher” comme dans la sitcom “How I met your mother”. Toutefois, ces représentations romancées des femmes séduisant de jeunes hommes sont problématiques. Elles relèvent de la prédation sexuelle, . On y retrouve un point commun avec la hagsploitation. Ces femmes, “anciens canons de beauté ayant disjoncté après la ménopause”, sont régulièrement montrées en chasse de jeunes hommes. C’est le cas dès la mythologie avec le personnage de Lamia. Une jeune femme cachant une apparence monstrueuse, s’attaquant aux jeunes hommes pour en tirer des profits sexuels. On y retrouve une notion de domination qui appartient au domaine de l’érotisme selon Pascal Françaix. “Pour le spectateur, il y a le plaisir morbide de scruter les traces subsistantes de beauté dans des visages et des corps défraîchis” développe-t-il.
The Substance : le changement par la caricature
Heureusement, une prise de conscience s’opère. À commencer par les rôles des cougars qui tendent à disparaître. Mais aussi concernant le corps des femmes âgées. À l’image du film “The Substance”, sorti l’année passée. Ce body horror démontre l’obsession d’Elisabeth, ancienne star d’Hollywood en perte de vitesse, pour la jeunesse éternelle. Elle décide de s’injecter un mystérieux produit pour créer un double d’elle, nommée Sue, correspondant aux stéréotypes des représentations du corps féminin. Demi Moore, 62 ans et véritable sex-symbol des années 90 incarne la première, tandis que Margaret Qualley, 30 ans, nouvelle star de Los Angeles joue la seconde. Le film affiche une esthétique sexualisante caricaturale pour questionner notre rapport aux corps féminins. L’œuvre est construite comme une satire des normes de beauté surréalistes et en décalage avec notre réalité. Signée par une femme, elle interroge la manière dont l’industrie cinématographique traite le corps féminin. Une réflexion artistique s’inscrivant dans la tradition des films d’horreur asiatique, où souvent, la condition négligée et solitaire du monstre ou du fantôme suscite le pathos à travers la compassion, plutôt que le dégoût.
Le cinéma ne doit pas s’abstenir d’explorer la problématique du vieillissement féminin. Mais force est de constater que les rituels autour des femmes âgées dans les films d’horreur révèlent des tendances âgistes et misogynes.