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Lysistrata Média

Remettre en lumière Alice Guy, cette pionnière du cinéma

À l’île de Ré, une compagnie de théâtre redonne vie à Alice Guy, première femme réalisatrice de cinéma au monde

Plage des Gollandières – Extérieur jour – Clap première. En cette journée ensoleillée du dimanche 18 mai, une équipe de tournage s’affaire face à l’océan à l’île de Ré. Sur la passerelle en bois qui enjambe la plage, il y a là un cadreur, des lumières installées, des figurants joués par des enfants du village, l’acteur principal interprété par un sculpteur du Bois-Plage-en-Ré. Il porte justement un costume d’artiste peintre. Laure Huselstein et Serge Irlinger de la compagnie l’îlot Théâtre veillent au grain, supervisent, commentent et donnent des consignes. Ils sont les initiateurs d’un projet autour de la première réalisatrice de films de fiction de l’histoire : Alice Guy, une pionnière et une féministe à bien des égards.

Il s’agit de faire revivre Alice Guy en réalisant dix de ses petits films au format court-métrages à partir des scénarios qu’elle avait écrit et qui ont été retrouvés. Chacun des films est tourné sur un ou deux jours dans un des dix villages de l’île de Ré, en mobilisant la population locale. Une manière de faire en sorte que les Rétais (les habitants de l’île de Ré, ndlr) soient aussi partie prenante du projet. La collectivité locale rétaise, la Communauté de communes de l’île de Ré apporte son soutien financier. La réhabilitation d’Alice Guy devient dès lors un projet culturel de territoire dont tous les habitants sont invités à s’emparer.

Le tournage a lieu ici dans l'ancien hôpital de Saint-Martin-de-Ré.

Une pionnière et une féministe

Car cette Alice Guy, pourtant inconnue des livres d’histoire et même des livres tout court, a une destinée vraiment hors du commun. Laure Huselstein comédienne et metteuse en scène de la Compagnie l’îlot théâtre découvre son existence il y a deux ans à la lecture d’un article paru dans un journal.

Fascinée par le personnage, elle approfondit le sujet, se documente et commence à évoquer un projet artistique avec son associé Serge Irlinger : « Alice Guy a été contemporaine des frères Lumière. Après avoir grandi au Chili, elle arrive en France au début du XXe siècle, elle est alors une très jeune fille de 17 ans et doit trouver un boulot pour subvenir aux besoins de sa mère après le décès de son père. Elle entre comme dactylographe chez Gaumont qui commercialise des appareils photos puis des « cinématographes » (les premières caméras). Elle est invitée à la première projection de films de l’histoire, celle des frères Lumière et ressent immédiatement le désir de faire des films. Son patron, Monsieur Gaumont la laisse faire pendant ses pauses-déjeuner, du moment que cela n’empiète pas sur son travail de secrétaire. »

Son premier film s’intitule La Fée aux choux. À l’époque, la réalisation de petits films sert à mettre en avant les premières caméras. Pour les établissements Gaumont, Alice Guy réalise des centaines de films. Elle est une véritable « story teller », et ce nouveau média qu’est le cinéma lui permet de raconter les histoires qui naissent de sa très fertile imagination créatrice.

Puis, elle se marie et part vivre avec son époux aux États-Unis. Là, elle créé son propre studio de production dans le New Jersey : La Solax Productions, elle tourne des westerns, des petites comédies et des films de genre. Elle aborde surtout des thèmes toujours d’actualité 120 ans plus tard : le racisme, l’antisémitisme, les violences conjugales, la place des femmes dans la société, dans le cinéma…

D'autres lieux de l'île sont utilisés pour les tournages. ©Virginie Valadas

Plus de 1000 films tournés et jamais retrouvés

En 1920, les studios de cinéma déménagent tous de la côte est vers la Californie et Hollywood. Son mari la quitte pour une plus jeune comédienne. C’est l’avènement timide du cinéma parlant. Tout cela a raison de son exil américain. Elle divorce et rentre en France, mais elle est ruinée. Surtout, elle tente de retrouver coûte que coûte les films qu’elle a créés pour la Gaumont.

Ce sera la quête de toute la deuxième partie de sa vie. Elle retournera même aux États-Unis dans le New Jersey pour tenter de mettre la main sur ses images. Mais à l’époque, aucun travail d’archivage n’était effectué. Environ 150 de ses petits films seront retrouvés ainsi qu’une centaine de scénarios.

C’est parmi ces scénarios que la compagnie l’îlot Théâtre a pioché pour réaliser, à son tour, dix courts-métrages à la manière d’Alice Guy. C’est-à-dire en noir et blanc et muet bien sûr. Ces créations vont donner lieu à plusieurs types de spectacles et de restitutions : des cinés-concerts, des ateliers, des conférences spectacles, qui, espèrent Laure et Serge, sauront séduire des salles de spectacle, bien au-delà de l’île de Ré.

Alors qu’au festival de Cannes, la place des femmes dans le cinéma est plus que jamais interrogée, questionnée et plébiscitée, alors que plusieurs d’entre elles se sont vus remettre des Palmes d’or ces dernières années, rendre hommage à Alice Guy et la faire connaître apparaît aujourd’hui comme une évidence. Ces créatrices, ces réalisatrices, Coralie Fargeat (The Substance), Justine Triet (Anatomie d’une chute), Hafsa Herzi (La petite dernière, en compétition officielle cette année), pour n’en citer que quelques-unes, toutes marchent dans les pas d’Alice Guy. Cette pionnière féministe a ouvert la voie.

Un article écrit par Virginie Valadas.